La force du réseau de Princecraft

Jean-Philippe Martin-Dubois
Le roi de Princeville, c’est Bateaux Princecraft. Avec ses quelque 390 employés répartis dans quatre installations de cette ville d’environ 6000 habitants du Centre-du-Québec, ce fabricant d’embarcations en aluminium pèse lourd dans l’économie locale. Et c’est sans compter ses nombreux fournisseurs situés dans la municipalité.


La PME fondée en 1954 a le vent dans les voiles depuis le début de la pandémie.

« Si on produisait 60 % de plus que présentement, on écoulerait la marchandise facilement, explique Jean-Philippe Martin-Dubois, directeur du marketing et de l’expérience client. On a de la demande de partout, c’est incroyable. » Il précise qu’au Canada, « il se vend de 10 000 à 12 000 pontons par année », et qu’un nombre encore plus élevé est distribué au Wisconsin et au Minnesota, respectivement. « Aucun manufacturier n’est en mesure de répondre à ça! »

Miser sur l’entraide
En cette période de difficultés d’approvisionnement et de rareté de main-d’œuvre, Princecraft et ses fournisseurs locaux ont donc dû faire preuve d’agilité pour répondre à l’engouement. Son modèle d’affaires repose sur une relation étroite avec ses collaborateurs, qui lui fournissent les pare-brise, les toiles, les toits et l’ameublement pour les embarcations. Le fabricant se charge de découper l’aluminium et de bâtir l’armature de ses navires, avant de mettre en place les composants livrés en mode « juste à temps ».

« On a la chance d’avoir vendu la production au complet à l’avance, précise Jean-Philippe Martin-Dubois. En ce moment, on planifie la fabrication pour 2023. Nos fournisseurs savent déjà ce qui s’en vient et peuvent sécuriser leur approvisionnement. »

Il arrive cependant que tout n’aille pas comme prévu. C’est là que la proximité favorise l’entraide.

« On consomme parfois les mêmes matériaux, dont le bois de placage, illustre Jacques Thibodeau, président et copropriétaire de Wes Industries et de Découpage Axis, qui font notamment les viviers, les tableaux de bord et les bases des sièges en plastique. Si Princecraft manque de bois, on va leur en fournir et vice-versa. Il arrive que ce soit une tempête en hiver qui retarde une livraison d’une semaine, mais il ne faut pas que cela nous empêche de travailler. »

Le grand aide le petit
Princecraft appartient au groupe américain Brunswick Corporation depuis 2001. Cela lui procure un pouvoir d’achat beaucoup plus grand que ce qu’elle avait à titre de PME québécoise, tout en lui donnant accès à un carnet de contacts inégalé. Remeq, un constructeur de remorques de Princeville qui livre un de ses produits avec presque chaque bateau vendu par Princecraft, en a d’ailleurs profité.

« L’approvisionnement en roues a été un gros problème durant la pandémie, car on en consomme environ 10 000 par année, mentionne Frédéric Martel, son directeur général. Princecraft nous a aidés à trouver des fournisseurs, puisque leur groupe a plusieurs partenaires fabricants. On a de la chance, car on a eu des occasions qu’on n’aurait pas pu avoir autrement. »

Le partage d’information est aussi très utile, fait valoir Jacques Thibodeau. Puisque Brunswick Corporation consomme énormément certains matériaux, comme de l’aluminium, il est en mesure de refiler à ses partenaires des données précieuses sur les délais de livraison.

En raison de la taille de sa maison-mère, Princecraft acquiert également des matériaux pour ses fournisseurs, afin de profiter d’économies d’échelle.

Puisque l’ensemble de ces entreprises québécoises tournent à plein régime, elles sont toutes à la recherche de main-d’œuvre, ce qui pourrait engendrer des conflits. Mais là encore, l’harmonie prévaut, assure Sébastien Noreau, propriétaire et président d’ANP, qui fournit des toits et de toiles à Princecraft et s’occupe du rembourrage des sièges de bateaux. « On a une bonne entente voulant qu’on ne se vole pas des employés entre nous », note-t-il.

Tissés serré
De 50 % à 80 % du chiffre d’affaires des fournisseurs de Princecraft dépend de leur « grand frère ». Mais cette symbiose va plus loin. Par exemple, ANP a été créé par un ancien employé.

« Mon père a travaillé 25 ans pour Princecraft avant de démarrer l’entreprise en 1985, alors qu’il était contremaître, parce que le rembourreur n’arrivait pas à répondre aux besoins, explique Sébastien Noreau. On a à cœur le sort de Princecraft, avec qui on a une super belle entente. Ce sont des gens de la région qu’on croise à l’épicerie et certains sont des amis. »

L’avantage de la proximité est indéniable quand vient le temps de trouver des moyens d’économiser et de régler des problèmes. S’il y a un bris sur une pièce, pas besoin de s’échanger des photos et de subir les délais de livraison. Un simple appel et le fournisseur arrive sur place cinq minutes plus tard pour remplacer le morceau endommagé.

« Tous les jours, ils livrent en juste-à-temps, ajoute Jean-Philippe Martin-Dubois. Ils ne sont pas pris dans le trafic. Pour des rencontres, c’est facile : pas besoin de prendre l’avion ou de faire de la route. »

Cette formule permet ainsi à Princecraft d’éviter de gérer des stocks, car elle n’a pas besoin d’entreposer tout ce qui provient de ses partenaires locaux. S’il y a de pépins d’approvisionnement ou de production, il est aussi beaucoup plus aisé de s’adapter pour ne pas ralentir la cadence.

« Cela a pris 30 ans pour bâtir ce réseau-là, résume le porte-parole du fabricant. La maison-mère a d’autres entreprises d’embarcations et elle voit que c’est une histoire à succès qu’on a ici. »



Princecraft

 

  • Fondé en 1954
  • Acheté en 2001 par Brunswick Corporation (États-Unis)
  • 390 employés répartis dans quatre bâtiments à Princeville
  • L’entreprise estime qu’elle génère 600 emplois directs et indirects à Princeville.

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Source : Article de Emmanuel Martinez, Les Affaires, 25 mai 2022

Vignette : Jean-Philippe Martin-Dubois, directeur du marketing et de l’expérience client chez Princecraft (Photo: courtoisie)